Un ramassis de merveilles
C’est le prochain arrêt !
J’appuie sur le bouton pour arrêter le bus. J’ai hâte d’arriver ! Je compte plus le nombre d’allers-retours que j’ai fait jusqu’ici. J’arrête pas depuis la première fois que je suis venue. C’était avec Roméo. Je m’en souviens, j’étais en train de me plaindre de mon boulot. Peindre des paysages, avec des gens, des animaux tout mignons… Tout ça commençait à me faire chier. Je voulais passer à autre chose.
Puis, j’suis revenu, encore et encore. Les portes du bus se sont ouvertes à nouveau. C’est un vrai coup de foudre. Roméo m’avait décrit ce lieu comme crasseux. Oh oui, c’est bien crasseux, et c’est ce qui est vachement bien ! J’ai regardé les bâtiments. Leurs faces sont complètement ternies par la pollution, mais elles sont décorées par des tags de partout. Les affiches publicitaires collées à chaque coin de rue font apparaître de nouvelles couleurs chaque minute. C’est un beau bordel. Les voitures défilent, leurs pneus s’écrient et m’agressent les oreilles avec douceur. Cet endroit doit être constamment exposé à ces bruits, ce qui rend ce lieu unique. J’avance quelques pas en avant, puis je sens quelque chose sous mes pieds. Wah tous ces mégots ! C’est alors que tous ces objets par terre me sautent aux yeux. Je me suis tout de suite dit qu’ils ont du potentiel que je peux exploiter. J’ai ressenti une décharge qui m’a traversé tout le corps. Depuis, venir ici est devenu mon plaisir quotidien.

J’y reviens toujours. Le bus s’arrête, les portes s’ouvrent. Je pose un pied sur le sol. J’aperçois en premier le tas de mégots à l’arrêt de bus. Il n’a pas bougé. Ce tas de merveilles me permet à chaque fois de bien me sentir arrivée. Bordel de merde, ça fait du bien. Je vois défiler dans mon imagination l’histoire de cet endroit, les personnes, assises ou debout, aspirer puis recracher la fumée. Je suis trop excitée, euphorique !!
Puis, mes yeux suivent le parcours tracé par le fil de ces cigarettes écrasées. Un chemin de roulés, de clopes industrielles, qui me mènent vers la route. Là, je vois carrément un paquet de Marlboro écrasé. Mais il y a d’autres paquets. J’en vois de toutes les marques, de toutes les couleurs. Granola, Freedent… Je vois sur certains des traces de pas et de pneus, ayant entrainé leur décomposition. Leurs morceaux s’envolent dans le vent et s’accrochent aux poubelles débordant d’ordures. On dirait une cascade de merde, j’adore ! Je continue de regarder le long de la rue. Quelque chose m’éblouie l’instant d’une seconde. Des morceaux de verre ! Mais c’est trop bien ! J’imagine un pied les écrasant, dégoulinant de sang, traçant un chemin rouge le long du trottoir... Ouais, on m’a déjà conseillé d’aller voir un psy. J’aperçois des morceaux de papiers et de sacs en plastique, en train de s’envoler et de se coller sur un pâté de chiures d’oiseaux. C’est dommage, je vois pas de merde de chien. Elles sont pourtant uniques à chaque fois dans leurs formes. Elles m’inspirent.
Je vois aussi des bouteilles entières, en verre, mais aussi en plastique, puis aussi des canettes. Certaines sont écrasées, à tel point qu’on ne peut plus distinguer la couleur ou la marque d’origine. Je continue, et je vois… un tee-shirt, déchiqueté !
J’observe, je trouve, je regarde, je ramasse, je collectionne. Tout ça à répétition. Je n’avais jamais ressenti ça, un débordement d’inspiration grâce à une source inépuisable. Mon ambition n’arrête pas de grandir ! Je voulais de plus en plus construire quelque chose de grand, quelque chose d’inattendu.
Je sais, un palais !
Inventaire
Découverte du lieu