Le début de la fin (suite)
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- Juliette ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?
- Euh... Je n’arrivais plus à travailler à la maison.
- Et donc t’as décidé de te poser devant mon boulot ? Bon, laisse tomber, on rentre.
Je me penche pour ramasser ma sculpture mais il m’arrête.
- On va pas prendre ça dans le bus, laisse ça là. Y en a déjà plein à la maison
- Mais c’est pas pareil, celle-là elle est spéciale
Il me fusille du regard et je préfère céder pour cette fois. Je pose ma sculpture contre un mur et je suis Roméo jusqu’à l’arrêt de bus.

Arrivés à la maison, je me dirige rapidement vers mon atelier, rassurée d’avoir enfin retrouvé l’inspiration.
Sauf que Roméo, au lieu de faire comme d’habitude et de se poser sur le canapé, me suit en bas.
- Juliette, il faut qu’on parle. Ça peut plus continuer comme ça ! J’en ai marre de tes déchets, y en a partout !
J’essaye de le raisonner. Je ne comprends pas comment il peut ne pas voir la beauté de ces objets.
- Roméo, écoute, je suis désolée de ne pas avoir eu le temps de nettoyer aujourd’hui, mais c’est vrai que j’ai été très occupée.
- Je ne comprends vraiment pas comment ces trucs peuvent t’intéresser ! Merde, il y a une bonne raison pour que les gens les jettent, et toi tu les ramasses.
- Mais regarde-les. C’est énorme : on peut en faire tout ce qu’on veut ! Ne me dis pas que tu ne ressens rien quand tu les vois. Je pense que tu ne les as pas assez regardés. Regarde bien : leur forme, la manière dont ils ont été écrasés, déchiquetés, massacrés. Certains sont restés par terre tellement longtemps qu’ils ont été abîmés par la pluie, ils se sont fait rouler dessus... Ce sont des témoignages de la vie, ça montre l’évolution, c’est magnifique ! Pourquoi n’es-tu pas capable de voir tout ça ?
- Comment ça pas capable ? C’est pas plutôt toi qui voit des trucs qui n’existent pas ?
- Comment te dire. Au début, j’étais comme toi. Ce n’est qu’en baissant la tête un jour par hasard que j’ai découvert toute cette beauté. Des objets qui sont à portée de main, disponibles et accessibles, le fait de les assembler pour créer un ensemble, ça permet de leur donner un futur, une renaissance.

Je vois bien que mon discours ne l’a pas du tout convaincu. Au contraire, il m’a l’air de plus en plus énervé.
- Tu veux de nouveaux déchets, c’est pour ça que t’es sortie aujourd’hui, non ? Et ben les voilà tes déchets.
Il prend une bouteille de verre qui traînait sur la table et il l’explose contre le mur. Je suis trop choquée pour réagir.
- Ça te suffit pas ? Tu en veux plus ? Et ben voilà.
Il retourne le bureau. Il y a des feuilles, des stylos, des mégots partout.
- Non mais ça va pas ? Je crie. Mais ça va pas ?
- Ça se voit pas ? Je t’aide à trouver des déchets et je vais t’aider encore plus.
Il prend la poubelle et me jette son contenu à la figure.
- Et là t’en as assez, c’est bon ou tu vas encore aller en chercher ? Il hurle.
- Mais c’est pas possible ! Mais t’es complètement cinglé ! C’est quoi ton problème ?
- Mon problème c’est que, pour des ordures pareilles, tu me jettes ! T’en as absolument rien à foutre de moi et ça me gave vraiment ! Alors je vais t’en débarrasser moi, de tes déchets.
La scène devant moi se déroule au ralenti : il sort son briquet Zippo de la poche arrière de son jean. Vide l’essence sur les rideaux. Il y met le feu...